À la recherche des traces de vie photosynthétique



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Doctorante et post-doctorant au sein de l’Unité de recherches en Astrobiologie de l’Université de Liège, Catherine Demoulin et Yannick Lara concentrent leurs recherches sur l’étude d’organismes photosynthétiques fossiles et vivants, comme les cyanobactéries. Sur ces fossiles, les chercheurs tentent de retrouver des biosignatures, des signatures de vie permettant de déterminer l’affinité biologique des fossiles pour ainsi obtenir des renseignements sur les conditions de la Terre primitive et l’évolution de ces organismes. Explications.

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érivé du grec ancien bios (vie) avec le préfixe astro (étoile), et le suffixe –logia (l’étude), l’astrobiologie se définit comme l’étude de l’origine de la vie et de son évolution sur Terre, ainsi que de sa distribution dans l’Univers. L’astrobiologie rassemble plusieurs disciplines telles que l’astrophysique, la géologie, la chimie, la biologie et la philosophie. Une combinaison de différentes expertises qui permet d’aborder certaines des grandes questions que l’Humanité se pose depuis des siècles. Comment la vie est-elle apparue sur Terre ? Quels sont les événements qui ont permis l'évolution de la vie? Y a-t-il de la vie ailleurs dans lUnivers?

Sur Terre, les recherches se concentrent sur la caractérisation des conditions nécessaires à l’origine de la vie (que l’on appelle l’habitabilité), des traces de vie les plus anciennes; de l’émergence de la vie et l’apparition chronologique des différents lignages qui constituent l’arbre de la vie, des processus métaboliques majeurs qui ont permis le développement de la vie telle qu’on la connaît. En pratique, l’astrobiologie étudie d’une part, les organismes vivants dans les environnements dits «extrêmes» qui pourraient se rapprocher de certaines conditions de vie de la Terre primitive et, d’autre part, l’analyse des roches datant du Précambrien (de 4568 à 541 millions d’années.Les plus vieilles roches datent de 4 milliards d’années), une source précieuse d’informations sur les conditions de la Terre primitive et qui peuvent préserver des signatures de vie ou, comme on les appelle, des biosignatures. Ces biosignatures peuvent être des formes analogues aux morphologies et ultrastructures cellulaires des différents domaines du vivant (tailles, formes, axes de division, enveloppes cellulaires, membranes internes, etc.), des structures rocheuses construites par la vie, des éléments chimiques et des molécules caractéristiques de la vie, ou encore, d’autres caractéristiques suffisamment complexes ou abondantes, et qui ne peuvent pas être formées par des processus abiotiques (sans présence de vie), pour qu’elles puissent illustrer une quelconque expression de la vie dans l’Univers.

Carotte de roche ©ULiege

Carotte de roche datant de lEdiacarien (de 635 à 541 millions d’années), Australie. (Crédit: C. Demoulin)

Pour établir de telles biosignatures, il est donc nécessaire de travailler à la fois sur des organismes vivant dans leur milieu naturel et sur des restes fossilisés de ces mêmes organismes. Il faut également comprendre le contexte dans lequel ces traces sont préservées, comment la fossilisation et divers processus géologiques ont pu altérer et modifier ces traces de vie. Pour comprendre ces phénomènes, les chercheurs on recourt à de la fossilisation artificielle en laboratoire, une méthode qui permet de recréer en quelques heures les conditions subies par des organismes sur des milliers et des millions d’années.

A l’Université de Liège, Yannick et Catherine étudient l’évolution et les biosignatures d’un clade particulier: les cyanobactéries. Micro-organismes qui se développent dans les milieux terrestres et aquatiques, les cyanobactéries forment une lignée ancienne de bactéries qui ont l’originalité d’avoir inventé la photosynthèse oxygénique. Ce processus métabolique permet d’utiliser la lumière du soleil et de la transformer en énergie pour la vie sous forme d’ATP (adénosine-triphosphate). Les autres produits de cette réaction biochimique (Lumière + 6CO2 + 6H2O -> C6H12O6+ 6O2) sont notamment des sucres et de l’oxygène (O2). L’invention et la réalisation de ce processus métabolique a entraîné des changements à l’échelle géologique qui ont influencé l’évolution de la vie sur Terre. En effet, en relâchant massivement de l’O2 dans l’atmosphère, les cyanobactéries sont en grande partie responsables de l’oxygénation de l’atmosphère et des océans, ainsi que la constitution de la couche d’ozone (O3). Cet événement, appelé la Grande Oxygénation (Great Oxidation Event), s’est produit il y a environ 2,4 milliards d’années. A la suite de cet événement, la vie basée sur la respiration cellulaire aérobie s’est répandue et complexifiée.

Les cyanobactéries sont également à l’origine de l’émergence des chloroplastes dans les cellules eucaryotes et sont, par conséquent, également à l’origine du développement des algues et des plantes. En effet, le premier chloroplaste est apparu par endosymbiose primaire, c'est-à-dire par la capture d’une cyanobactérie par une cellule eucaryote contenant une mitochondrie. Ces différents événements ont eu des conséquences critiques pour l’évolution de la vie telle qu’on la connaît. Il est donc capital de dater l’apparition et la diversification de ce groupe et d’estimer la vitesse d’évolution des cyanobactéries afin de pouvoir comprendre la co-évolution de la Terre et de la biosphère.

De nos jours, les cyanobactéries sont quasiment ubiquistes, elles occupent une multitude d’habitats avec de faibles et hautes intensités lumineuses. On les retrouve à différentes latitudes, du Pôle Nord au Pôle Sud, sous forme de tapis microbiens, de biofilms à la surface de roches, à l’intérieur d’interstices rocheux, sous forme de plancton dans les lacs et étangs d’eau douce ou à la surface des mers et des océans, et d’autres types d’environnements encore. Le lignage des cyanobactéries modernes comporte une diversité morphologique remarquable de formes unicellulaires ou filamenteuses, isolées ou en colonies et pouvant aller de quelques microns à plusieurs dizaines de microns de diamètre (1 micron= 0,001 mm). Ces bactéries sont aussi capables de se protéger de l’environnement extérieur en s’entourant d’une gaine externe constituée de sucres. Elles peuvent synthétiser une large gamme de pigments dédiés à la photosynthèse et à son optimisation tels que les chlorophylles a, d et f, les caroténoïdes, la phycocyanine et la phycoérythrine. Enfin, elles peuvent produire des pigments comme la scytonémine et la gloeocapsine qui les protègent comme un écran solaire des rayonnements ultraviolets (UV) nocifs pour les organismes vivants. Ces derniers sont spécifiques aux cyanobactéries. Ils constituent de ce fait une biosignature robuste démontrant la présence de cyanobactéries.

L’enregistrement fossile des cyanobactéries est un inventaire de fossiles comportant des caractères analogues aux cyanobactéries modernes. Il comporte plusieurs dizaines de fossiles pour lesquels l’identité est classée de «non ambigüe», «ambigüe» à «possible» ou «probable». A l’heure actuelle, il n’y a que trois microfossiles dont l’interprétation en tant que cyanobactéries est certaine. Ces trois microfossiles présentent un ensemble de caractères uniquement présents chez les cyanobactéries, ce qui en fait des biosignatures de ce groupe de bactéries. En effet, leur morphologie, leur mode de division cellulaire, leur composition, ainsi que leur environnement ont permis d’établir une correspondance avec des cyanobactéries modernes. Cette combinaison permet d’exclure d’autres groupes tels que les eucaryotes. Parmi ces trois fossiles se trouve la plus vieille cyanobactérie fossile, Eoentophysalis belcherensis. Cette dernière a été découverte dans des roches récoltées sur les îles Belcher au Canada, datées d’environ 1.9 milliards d’années. La cyanobactérie moderne analogue à ce fossile est retrouvée notamment dans la zone des marées de différents lagons tels que Abu Dhabi, le Golfe Persique ou encore à Shark Bay en Australie. E. belcherensis permet d’établir un âge minimal pour le groupe des cyanobactéries, c’est-à-dire que l’on est sûr que ce groupe était présent il y a ~1.9 milliards d’années mais ceci n’empêche pas le fait que les cyanobactéries peuvent être plus vieilles encore.

Cyanobacteries ©ULiege 

Photographies prisent au microscope optique de cyanobactéries modernes (B, D, F & H) et fossiles (A, C, E & G). A. Eoentophysalis belcherensis, la plus vieille cyanobactérie fossile (~1.9 Ga) ; B. Cyanobactérie moderne Gloeocapsa ; C. Le fossile Polysphaeroides filiformis et son analogue moderne (D) Stigonema robustum ; E. Le fossile Glomovertella et son analogue moderne (F) Arthrospira;  G. Le fossile Eomicrocystis et son analogue moderne (H) Microcystis. Bars d’échelle : A,B, E – H = 20 µm ; C, D = 100 µm. (Crédits A,C,E,F: C Demoulin; B,D,H: Y Lara; G: E Javaux)

Les recherches de Catherine et Yannick au sein du laboratoire « Premières Traces et Evolution de la Vie- Astrobiologie » visent à déterminer de nouvelles biosignatures de cyanobactéries pour réexaminer l’enregistrement fossile et ainsi essayerd’identifier un ou plusieurs fossiles non ambigus de cyanobactérie, peut-être même plus vieux que le fossile E. belcherensis. De cette manière, il sera possible de déterminer l’âge de ce groupe de bactéries et d’estimer un chronométrage de l’évolution de la vie. Des biosignatures semblables (mais pas identiques) seront également utiles pour rechercher la vie phototrophe (qui utilise la lumière comme source d’énergie) dans l’Univers dans des sédiments anciens de Mars ou sur des exoplanètes orbitant autour d’autres étoiles que le soleil. C’est un projet qui a déjà débuté avec la création d’un biodôme dans le cadre du projet scientifique PORTAL. Un projet qui souhaite contribuer à la compréhension de la phototrophie sur la Terre et à son évolution, et à la possibilité de phototrophie sur des exoplanètes rocheuses habitables orbitant autour d’un autre type d’étoile (naine rouge ultra-froide comme Trappist-1) que le Soleil mais très commun dans l’univers.

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