Les aurores de Jupiter



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Depuis leur découverte par la sonde Voyager 1 voilà plus de 40 ans, les aurores polaires de Jupiter n'ont cessé de fasciner les planétologues par leur ampleur et leur complexité. Sur base des images et données prises par les télescopes spatiaux Hubble et Hisaki et par la sonde Juno, Guillaume Sicorello, doctorant au Laboratoire de Physique Atmosphérique et Planétaire de l'ULiège, tente de percer les secrets des mécanismes à l'origine de ces aurores. Explications.

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es aurores sont parmi les phénomènes les plus envoutants du système solaire. Observables dans les régions polaires, elles se déclinent sur Terre en de fines draperies aux couleurs multiples. Cependant, les aurores sont loin d'être un phénomène réservé à notre planète. De nombreuses observations font état de leur présence sur Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Les émissions aurorales ne sont pas non plus restreintes au domaine de la lumière visible mais sont également émises dans d'autres types de lumière invisible à l'œil nu comme l'infrarouge, l'ultraviolet ou les rayons X.

A l'Université de Liège, le Laboratoire de Physique Atmosphérique et Planétaire (LPAP) étudie les aurores qui se produisent sur la Terre, sur Mars, sur Saturne et sur Jupiter. Le cas de celles qui se produisent sur Jupiter est particulièrement intéressant. En plus d'être la plus grande planète du système solaire, Jupiter possède également l'activité aurorale la plus importante. Ses aurores sont étudiées dans l'ultraviolet (UV), un rayonnement invisible à l’œil nu. En effet, puisque Jupiter n'émet ni ne reflète de rayons UV (en dehors des émissions aurorales), les images des aurores apparaissent sur un fond noir, ce qui facilite leur étude. Les émissions aurorales joviennes dans l'UV peuvent atteindre une puissance de l'ordre du térawatt (1012 watts), cent fois supérieure à celle des aurores terrestres.

La recette des aurores

Pour qu’une aurore puisse se produire, trois ingrédients sont nécessaires : un champ magnétique, un plasma et une atmosphère.

Le champ magnétique est produit par la planète qui abrite les aurores. Il peut être matérialisé par des courbes invisibles - les lignes de champ magnétique - étendues tout autour de la planète et focalisées à certains endroits, comme aux pôles pour la Terre et Jupiter. La région de l'espace où le champ magnétique planétaire et prédominant par rapport au champ magnétique du Soleil est appelée la magnétosphère. Une magnétosphère n'est pas symétrique mais est comprimée du côté face au Soleil et étirée dans la direction opposée suite à son interaction avec le vent solaire.

jupiter magnetosphere 

Représentation de la magnétosphère entourant Jupiter et ses principaux satellites.

Le plasma représente un état de la matière composé de particules chargées (des ions et des électrons) qui ont une interaction relativement limitée entre elles. Le plasma à l'origine des aurores se trouve autour de la planète étudiée, à l'intérieur de la magnétosphère. Celui qui entoure la Terre provient principalement des couches extérieures ionisées de l'atmosphère et des particules émises par le soleil qui sont transportées jusqu'à nous par le vent solaire. Le plasma qui entoure Jupiter est,  quant à lui, indirectement alimenté par le rejet dans l'espace d'une partie des émissions des nombreux volcans d'Io, un des principaux satellites de la géante gazeuse.

Une aurore résulte de la collision entre des particules du plasma et les atomes et molécules contenus dans la haute atmosphère de la planète. Pour la Terre, ce sont principalement des protons et des électrons qui entrent en collision avec de l'oxygène et de l'azote sous formes atomiques (O, N) ou moléculaires (O2, N2). Concernant Jupiter, ce sont des électrons qui sont précipités sur une atmosphère constituée presque exclusivement d'hydrogène sous forme atomique (H) et moléculaire (H2). Lors de telles collisions, plusieurs types de phénomène peuvent arriver. Un électron contenu dans un atome ou une molécule de l'atmosphère peut recevoir de l'énergie (excitation électronique) voire être complètement éjecté (ionisation). Des molécules peuvent également être brisées après une collision (excitation dissociative). Tous ces phénomènes donnent lieu directement ou indirectement à des désexcitations électroniques dans les atomes ou les molécules (des électrons qui possèdent un surplus d'énergie le rendent sous forme de lumière), produisant ainsi des photons lumineux dans des longueurs d'onde spécifiques.

Des aurores apparaissent parce qu'un phénomène qui s'est produit dans la magnétosphère est venu perturber le plasma, accélérant une partie de ses particules suivant les lignes de champ magnétique et les précipitant sur l'atmosphère. Ce sont précisément ces phénomènes que les chercheurs de l’ULiège tentent de comprendre.

Étudier les aurores

L'étude des aurores UV depuis la Terre ne peut se faire qu'avec des instruments situés en orbite car les rayons UV sont stoppés par l'atmosphère terrestre. Beaucoup de clichés proviennent du Télescope Spatial Hubble. Ce dernier est doté de caméras UV réalisant des images dont chaque pixel représente en moyenne 100 kilomètres sur Jupiter. La gamme de longueurs d'onde étudiée est comprise entre 130 nanomètres et 182,5 nanomètres. D’autres clichés proviennent du télescope japonais Hisaki qui possède également un spectromètre dédié à l'étude des plasmas autour des planètes. Hisaki réalise des observations dans une gamme de longueurs d'onde comprise entre 60 nanomètres et 145 nanomètres, ce qui correspond aux UV extrêmes. Enfin, la sonde spatiale américaine Juno - en orbite autour de Jupiter depuis 2016 – présente le grand avantage qu’en plus de pouvoir fournir des clichés, elle peut également récolter des données sur place, comme des mesures des ondes électromagnétiques ou de l'énergie, la composition et la direction des particules présentes dans la magnétosphère. C'est donc plus que jamais le moment d'étudier les aurores de Jupiter afin d'en apprendre plus sur leurs origines.

Au pôle Nord de Jupiter, on distingue actuellement seize structures aurorales potentiellement générées par des mécanismes différents qui se déroulent dans la magnétosphère. Certaines de ces structures ont une origine connue. Par exemple, trois des principaux satellites de Jupiter (Io, Ganymède et Europe) sont à l'origine d'empreintes aurorales (figure 2) dont l'existence est liée à une différence de vitesse entre la rotation des satellites et celle du plasma. Ces satellites, qui baignent dans le plasma, tournent moins vite que ce dernier autour de Jupiter. En conséquence, ils constituent un obstacle pour ce plasma qui va devoir les contourner et générer des ondes qui vont se propager le long des lignes de champ magnétique. Ces ondes vont accélérer des électrons qui vont précipiter dans l'atmosphère aux pôles de Jupiter.

D'autres structures ont encore une origine peu connue. C'est notamment le cas d'une émission aurorale récemment découverte appelée « pont » (figure 2 /Bridge). Cette structure, qui n'est pas présente en permanence, semble a priori relier deux émissions aurorales originaires de deux régions différentes de la magnétosphère. L'apparition d'une telle structure pourrait signifier que les deux régions magnétosphériques interagissent entre elles.

bridge example Jupiter 

Image des aurores UV prise par le Télescope Spatial Hubble. Parmi les structures aurorales, on distingue le « pont » (bridge) et l'empreinte aurorale de Io (Io footprint).

Les aurores de Jupiter ne sont pas figées dans le temps et l'espace. Sur des échelles de temps qui vont de la seconde à une rotation jovienne (environ 10h), elles peuvent apparaître, disparaître, se déplacer et/ou changer de forme. Puisque les aurores sont les manifestations visibles de mécanismes physiques qui se déroulent dans la magnétosphère, ça signifie que la magnétosphère elle-même est hautement dynamique. De nombreux indices, notamment depuis l'arrivée de Juno autour de Jupiter, laissent à penser que l'état de la magnétosphère est grandement influencé à la fois par des stimuli externes, comme un regain d'activité du Soleil, et internes, comme de fortes éruptions sur Io. En effet, plusieurs études montrent que les différentes structures aurorales joviennes varient de manière complexes à la suite de modifications dans les conditions autour de la planète.

Afin d'appréhender le phénomène, une étude préliminaire, à laquelle ont participé des membres du LPAP, a permis de classer des images des aurores en six morphologies différentes, caractérisant six états de la magnétosphère de Jupiter. Ce classement est basé sur l'existence, la forme et la brillance de plusieurs structures aurorales dans les images. Il peut être utilisé afin de comparer la morphologie des aurores avec les conditions spatiales internes et externes à la magnétosphère. Cependant, le nombre restreint d'images et la classification utilisée dans l'étude, basée sur une inspection visuelle des images, limitent cette comparaison. Une prochaine étape sera de développer de nouvelles techniques d'analyse, automatiques et plus objectives, afin de comparer et trier efficacement les nombreuses images d'aurores (plus de 100 000) que contiennent les bases de données du LPAP.

Les conclusions tirées de l'étude des aurores joviennes pourraient être transposées à d'autres planètes géantes, comme Saturne dont l'activité aurorale possède de nombreuses similitudes avec celle de Jupiter. Elles pourraient également aider à la compréhension des aurores de la Terre, pour laquelle certains phénomènes auroraux sont plus difficiles à observer. Dernièrement, une étude approfondie d'événements auroraux particuliers appelés "tempêtes de l'aube" sur Jupiter, a révélé des similitudes avec certaines aurores terrestres appelées des "sous-tempêtes aurorales", bien qu'a priori ces deux types de phénomène aient des origines fort différentes. Enfin dans le futur, l'observation d'aurores sur des exoplanètes permettrait de caractériser avec précision leur champ magnétique.

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Les aurores de Jupiter sont étonnamment semblables à celles de la Terre

Une étude menée par des chercheurs du Laboratoire de Physique Atmosphérique et Planétaire de l’Université de Liège, montre pour la première fois des vues globales d’une tempête de l’aube, un phénomène auroral spectaculaire qui se produit sur Jupiter.

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